Le 1er décembre 1944, à Thiaroye, l’Armée coloniale française a violemment réprimé des Tirailleurs sénégalais démobilisés, réclamant le paiement de leurs indemnités après leur service durant la Seconde Guerre mondiale. Cet épisode sanglant est qualifié par l’historien sénégalais et spécialiste des questions militaires, Mor Ndao, de « massacre prémédité » et de « summum de l’horreur ». Pour lui, cet acte reflète une profonde « hypocrisie » de la part de l’ancienne métropole française.
Tout commence en octobre 1944, à Morlaix, en Bretagne, où les tirailleurs s’apprêtent à embarquer pour Dakar. Une tension éclate lorsqu’ils réclament leurs soldes et primes promises par les autorités françaises. L’historien souligne que cette exigence légitime a suscité une « suspicion » envers ces soldats, jugés potentiellement influencés par l’idéologie allemande après leur captivité.
Sur un régiment initial de 2 000 hommes, environ 300 tirailleurs refusent d’embarquer sans une avance de paiement et des tenues propres. L’intervention musclée de la gendarmerie conduit à des affrontements : ces soldats sont faits prisonniers et transférés dans un camp à Trèves.
Lors du voyage vers Dakar, les disparités dans les chiffres interpellent. Selon les statistiques officielles, 1 950 hommes embarquent, mais seulement 1 600 arrivent à destination. Après une escale à Casablanca, où les tirailleurs reçoivent de nouvelles tenues, environ 1 300 débarquent finalement à Dakar le 21 novembre 1944. Cependant, des centaines de disparus restent inexpliqués.
À Dakar, les tirailleurs sont isolés dans un dépôt précaire, surnommé les « poulaillers », avec une alimentation infecte et des conditions de vie dégradantes. Cette marginalisation reflète, selon M. Ndao, une volonté délibérée des autorités coloniales d’éliminer ces soldats considérés comme dangereux.
Les tensions montent les 25 et 26 novembre 1944, lorsque les tirailleurs sont sommés de rendre les tenues offertes par les Américains à Casablanca et d’échanger leurs francs métropolitains contre des francs locaux. Les accusations de vol à leur encontre aggravent la situation.
Le 30 novembre, un général français tente de désamorcer la crise mais, le lendemain, les troupes coloniales passent à l’action. À l’aube du 1er décembre, près de 600 soldats, accompagnés de chars et d’automitrailleuses, encerclent le camp. Face au refus des tirailleurs de partir, l’ordre d’ouvrir le feu est donné, plongeant le camp dans un bain de sang.
Après le massacre, 45 tirailleurs sont arrêtés et exhibés dans les rues de Dakar, menottés. Parmi eux, 35 sont jugés le 5 mars 1945 pour « rébellion » et condamnés à des peines allant jusqu’à 10 ans de prison. Mor Ndao plaide aujourd’hui pour une révision symbolique de ces procès, estimant qu’il s’agit d’un « devoir moral ».
Les chiffres du massacre de Thiaroye restent incertains. Officiellement, on parle de 35 morts, mais d’autres estimations évoquent entre 70 et 191 victimes. Les témoignages locaux mentionnent des fosses communes où des corps auraient été ensevelis.
En 2014, François Hollande a remis des archives à Macky Sall, mentionnant 74 à 114 morts, mais cette version reste contestée. « Les chiffres sont importants, mais ce qui compte, c’est ce qui se cache derrière », insiste Mor Ndao, appelant à une reconnaissance claire des faits.
Aujourd’hui encore, des descendants de tirailleurs, avec le soutien d’avocats comme Hervé Banbanaste, militent pour la réhabilitation de ces soldats. Ce massacre, témoin d’une injustice historique, reste une plaie ouverte dans les relations entre le Sénégal et la France.
À l’aube du 80ᵉ anniversaire du massacre de Thiaroye, la mémoire de ces hommes exige plus que jamais d’être honorée et leur sacrifice pleinement reconnu.
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